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Le petit monde de Greg
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2 septembre 2008

St Mathieu et le Dragon...

Mathieu somnolait tranquillement au fond de l'amphithéâtre. Non que le cour fut assommant. Les mathématiques, même à un niveau si bas, avaient quelque chose d'attirant, de prenant. Mathieu ne se lassait jamais de voir évoluer ces objets merveilleux dans leur univers fantastique de lois et de théorèmes. Mais pas pendant un cour magistral du professeur Leduc. Là, les mots qui auraient dû véhiculer des concept chatoyants se fondaient en une rivière boueuse aux ondulations lentes et soporifiques. Et il s'endormait. Invariablement. Et les phrases glissaient sur lui comme le ressac trop régulier d'une mer d'huile. Parfois il percevait leur sens du fond de sa torpeur, mais sans daigner pourtant en suivre le fil.
Pour l'heure, Leduc déroulait une démonstration comme un chat une pelote, sans grâce ni panache. Des a et des b figuraient des nombres inconnus dont l'addition, la soustraction et la multiplication amèneraient sans nul doute à quelque résultat palpitant. Ici il était question de factorisation. Là de simplification. Quelques explications absconses accompagnaient les grattements inlassables de la craie contre le tableau noir. Puis il y eut un silence qui ramena Mathieu aux limites de la conscience. Et l'énoncé d'un résultat. A plus B égale zéro. Un titillement d'alerte effleura l'esprit de Mathieu. Quelque chose clochait là-dedans. Un malaise s'installait peu à peu dans l'amphi.
"Si A égale B, reprenait Leduc, j'obtiens aisément que deux fois A égale zéro. Si à présent je dis que A et B, qui, je vous le rappelle, sont deux nombres quelconques, valent tout les deux un... Nous obtenons que deux fois un égale zéro... soit que un égale zéro."
A cette conclusion, Mathieu s'éveilla en sursaut, l'estomac soudain noué. L'effet de cette bombe théorique ne tarda pas à se faire sentir dans tout l'amphi. Les uns riaient comme d'une bonne farce, les autres observaient, les yeux écarquillés de stupeur le résultat aberrant. Mais seul Mathieu, visiblement, percevait toute l'énormité du phénomène. Toute sa dimension catastrophique. Déjà son esprit tirait les conclusions funestes d'un tel drame. Tous les nombres seraient bientôt atteints. Car si un égale zéro alors deux, qui vaut un plus un, ne tarderait pas à se retrouver nul, lui aussi. Puis les autres chiffres suivraient, précédant les nombres de peu. Soudain, une autre énormité lui apparut. Si deux était brusquement égale à zéro, alors, très vite, trop vite, tous les nombres pairs seraient touchés. Ces nombres tous construits en multipliant un autre nombre par deux. Cette ogresse de multiplication allait bientôt annuler méthodiquement chaque nombre pair. Et, les nombres pairs disparus, c'est tout le monde des nombres impairs qui glisserait dans le gouffre. L'univers déstabilisé retrouverait irrévocablement l'équilibre dans le néant. Mathieu voyait déjà le tableau noir, composé de trois parties égales, sombrer dans l'incalculable.
"NON !" Il s'était levé en tapant du point sur sa table de travail, glissant vers l'indénombrable elle aussi. Il croisa le regard de Leduc qui l'invita d'un signe de tête à le rejoindre. Mathieu descendit vers le tableau, traversant le chaos de l'amphithéâtre livré à l'irrationalité la plus totale. Il prit le morceau de craie que lui tendait Leduc et s'avança, seul, contre le monstre qui menaçait de dévorer son univers. Et c'est la craie tremblante qu'il luta. Développant ici, factorisant là, il reprit le calcul, cherchant la faille. Saint Michel des temps modernes face au dragon d'illogisme. Et, alors même qu'il pensait la partie perdue, il trouva. Là, au cœur d'une ligne innocente, une simplification violait en toute impunité l'une des lois fondamentale de l'univers. On y divisait sans vergogne par la soustraction de b dans a. Et si a vaut b alors a moins b vaut zéro. Et nul ne peut diviser par zéro. Voilà! D'un coup de craie triomphant il bannit cette opération impossible, restaurant l'ordre de l'Univers.
Et, le regard haut, il regagna sa place sous les hourras de ses condisciples... ou bien était-ce des ronflements ?

Spéciale dédicace à mon prof de physique de 6eme qui, lorsqu'on écrivait une ânerie au tableau, s'écriait : "Efface - moi ça tout de suite tu vas abimer le tableau !"

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